Fernand Hippolyte, mort pour la France, enfant de Bapaume

Son nom est gravé dans la pierre du monument aux morts de Bapaume parmi les 96 soldats morts pour avoir défendu leur pays et les 25 victimes civiles. Le 7e de l’année 1916, il se situe entre Louis Normand et Arthur Pièque.
Fernand Hippolyte, classe 1904, matricule 186 au recrutement d’Arras, était caporal-mitrailleur au 273e régiment d’infanterie.

Monument aux morts de Bapaume

Fernand est né à Bapaume, il porte le prénom d’un frère qui n’a vécu qu’un mois, il y travaillait, ayant succédé à son père dans l’entreprise familiale d’habillement et confection Au Franc Picard rue d’Arras. Uni à Germaine Bardoux originaire de Beauvois-en-Cambrésis, il élevait leur fils Marcel, âgé de 2 ans, en « bon père de famille ». Le dimanche 27 septembre 1914, il l’a serré dans ses bras, a embrassé sa femme avec une pensée pleine d’amour pour le petit être qui naîtrait en décembre prochain, il a glissé quelques photos de sa famille dans son portefeuille, il a jeté un coup d’œil à son magasin qui allait continuer de tourner sans lui, il a dit au revoir à ses amis de Bapaume et le voilà parti sur les routes, là où on le lui a demandé. Il a 30 ans. C’était ses derniers pas devant sa maison, les derniers embrassements, la dernière vision de son village et de son magasin, ses dernières salutations aux amis, il ne reviendra pas, il ne sera plus qu’un numéro matricule, un numéro de régiment avec un trait de crayon sur sa dignité humaine. Tu obéis ou t’es mort.

Fernand Hippolyte, un style distingué, une élégance raffinée

29 mars 1916, extrait de la lettre de Fernand à Marie-Thérèse : « Quelle idiotie de faire sortir des hommes au repos par un temps pareil ! Par surcroît, on nous force à porter les cheveux ras. J’ai fait couper les miens tout à l’heure, bien obligé ! C’est ça le métier militaire : on passe des revues de cheveux, par le général de brigade, s’il vous plaît, mais on ne s’occupe pas si tu as une culotte trouée. Je m’ennuie fort de ne pas avoir de nouvelles de Bapaume, aussi le cafard me tient. »

« Mon cher Georges,
Tu seras le parrain de notre second et Marie-Thérèse, la marraine. Car, de même que je t’avais promis de veiller sur les tiens alors que j’étais libre, je te demande le même service si je venais à disparaître, puisque tu es à peu près à l’abri pour l’instant et moins exposé que moi. Cette double promesse me rassure.
Bon courage et bonne santé. Je t’embrasse de tout cœur. Fernand. » 24 juin 1916.

Le 20 juillet 1916, à 7 heures du matin, il entraîne ses hommes à l’assaut dans le secteur de Vermandovillers, le Bois Étoilé et le Bois Trink. Il se trouve à une trentaine de kilomètres de sa ville natale. La lutte est terrible. Sa vie s’arrête vers 7 heures 30 à Bois Étoilé, Soyécourt, décès constaté le 24 juillet 1916.
Fernand et son ami Eugène Defurne dans l’enfer des combats de Verdun se sont fait une mutuelle promesse de recueillir les dernières volontés et les objets personnels de celui qui tomberait le premier, de prévenir la famille et de s’assurer du lieu où il repose. Eugène Defurne s’est acquitté de cette tâche ingrate. Eugène Defurne est mort à Hargicourt le 26 septembre 1916.

Extraits des correspondances d’Eugène Defurne à Georges ou à son père :
« C’est pour tenir la promesse que j’en avais faite à Fernand il y a longtemps, que j’ai la douloureuse mission de vous écrire aujourd’hui. J’aurais pu m’acquitter de ce pénible devoir il y a quelques jours déjà, mais je ne voulais pas croire à l’irréparable, j’espérais malgré tout. Pourtant, devant l’évidence, je dois m’incliner et m’exécuter : vous informer que mon meilleur camarade, mon cher Fernand, n’est plus. Il a été tué le 20 juillet en montant à l’adversaire. »
« Fernand et moi étions liés par une amitié solide que les souffrances communes n’avaient fait que fortifier. »
« Où repose-t-il ? Le seul témoin de sa mort est un adjudant qui découvrit son cadavre et emporta les reliques que je vous ai adressées. Malgré mes démarches et mes efforts, je n’ai pu découvrir aucun indice qui me permet de garder l’espoir de retrouver les restes de notre cher disparu. Officiellement, son décès est enregistré et l’absence de sépulture est constatée officiellement également. Je sais que votre douleur va être aggravée par ce que je vous apprends aujourd’hui, mais je vous dois la vérité, elle m’est très pénible à moi-même, et c’est avec le cœur serré et angoissé que je vous trace ces lignes. »
« Je ne me rebute pas, je poursuivrai mes recherches sans me lasser, pourtant. Je vais continuer à questionner, enquêter, mais les témoignages sont suspects quand ils ne sont basés que sur des ouï-dire. »
« Je pense à sa jeune femme, de laquelle Fernand aimait à me causer avec cette émotion particulière aux gens qui aiment vraiment et profondément. »
« Vous connaissez, par les récits que j’en ai faits à vos parents, les circonstances quasi mystérieuses qui ont précédé la mort de Fernand. C’était à l’attaque du bois Trink, le jeudi 20 juillet, vers 7 heures ½ du matin. La section, en file indienne (Fernand, en qualité de caporal sous-chef de section, fermait la colonne), gagne par bonds l’emplacement qui lui est assigné. La section prend position, le sergent chef de section est tué aussitôt. On appelle Fernand pour succéder à son chef de groupe, on s’aperçoit qu’il n’est pas encore là, il ne devait pas rejoindre, hélas ! »
« Je me suis posé la question de savoir si Fernand n’a pas eu le pressentiment de sa fin prochaine, voici pourquoi : depuis toujours, il était convenu entre nous que nous nous chargions de prévenir les familles l’un de l’autre en cas de malheur. C’était une promesse, un engagement formel dont nous n’avions plus causé depuis que nous l’avions pris, c’est-à-dire depuis notre arrivée au front. Nous avons fait Verdun ensemble, aucune allusion ne fut faite par l’un de nous à notre mutuelle promesse. Nous embarquons pour la Somme, le 20 juillet l’attaque doit avoir lieu. Le 18, Fernand m’écrit pour me rappeler mon engagement et m’envoyer sa photographie que je ne possédais pas encore et il écrit à sa femme la lettre qui se trouvait dans son portefeuille, alors qu’à Verdun cette idée ne lui était pas venue ! Ne sont-ce que des coïncidences ? »
« D’humeur égale, toujours froid et calme, j’admirais le courage surnaturel avec lequel il supportait sa séparation. Sa femme, sa chère Germaine, comme il aimait à l’appeler, et son cher petit, étaient les seuls sujets qui avaient le don de l’émouvoir et de le faire sortir de sa réserve habituelle. »
« Je garderai fidèlement la mémoire de Fernand qui a été pour moi un ami véritable. Bien que les chagrins l’accablaient, il avait su me prodiguer les paroles qui consolent lorsque des accidents dans ma famille m’avaient rendu si malheureux aussi, c’était un grand cœur. »

Georges et Fernand s’écrivent au minimum une fois par semaine. Fernand lui écrit la veille de sa mort :

« 19 juillet 1916
Mon cher Georges,
Il y a eu un changement au programme, si bien que nous sommes encore là. À mon sens, ce n’est reculer que pour mieux sauter. Voilà 34 jours que nous sommes en première ligne et d’après ce que je crois, nous irons sûrement à 36. Depuis 24 heures, nous avons été pas mal éprouvés : notre lieutenant, mon collègue chef de pièce, deux pourvoyeurs (deux frères tués par le même obus). Depuis hier, je fais officiellement fonction de sous-officier adjoint au chef de section. Le grade s’ensuivra peut-être. Le principal, c’est d’en revenir… avec ses abattis au complet. Je te prie de croire que les Boches en face ont reçu quelque chose sur le coin de la figure. Toujours bonne santé. Le vaguemestre est là.
Bons baisers de ton frère. Fernand. »

Lettre du Capitaine Charvet, capitaine au 273e régiment d’infanterie

28 mai 1917, extrait de la lettre de Léon Hippolyte à Marie-Thérèse : « J’ai le bonheur de te faire part que Fernand a été repéré hier par Prévost Davion. Comme je lui disais cette semaine que je ne recevais pas mon autorisation pour aller à Soyécourt, spontanément, il s’est offert à s’y rendre quand il irait dans ces parages avec ses officiers. Hier, il a demandé au commandant qu’il conduisait à Péronne la permission d’aller repérer un de ses amis tombé au champ d’honneur à Soyécourt. Aussitôt, l’officier lui dit : Attends-moi dix minutes et je pars avec toi à la recherche d’un brave. Les voilà donc en route. Arrivés à Soyécourt selon les indications du ministère, mais pas tout à fait comme la chose exacte, ils ne trouvent rien. De guerre lasse, ils s’apprêtent à abandonner quand le commandant s’écrie : Là-bas, il y a une tombe.  Aussitôt, ils y courent et s’immobilisent devant une tombe sans inscription sur la croix. Au pied de la croix, il y avait une bouteille, le goulot enfoncé en terre. Prévost retire la bouteille qui contient un billet ainsi conçu : 273e infanterie, Fernand Hippolyte, caporal mitrailleur, juillet 1916, plomb 34. Le doute n’était plus possible, Fernand repose là en son dernier sommeil. Prévost a recopié le billet et l’a remis dans la bouteille. L’original de Prévost, je l’ai envoyé à Germaine. Je fais faire une croix en chêne avec plaque de cuivre que j’irai poser aussitôt mon autorisation. Quand il a repéré Fernand, il en a pleuré de joie, sachant le plaisir qu’il me ferait. Ils ont eu la délicatesse de fleurir la tombe de quelques fleurs des champs. »

Là-bas, il y a une tombe

14 juillet 1917, extrait de la lettre de Léon Hippolyte à son fils : « Journée terrible comme fatigue ! Parti à 6 heures du matin pour Soyécourt, et après quelques recherches, je suis parvenu à voir mon cher Fernand. Il a fallu le cœur d’un père pour faire ce que j’ai fait. Avec l’aide des Boches, nous nous sommes mis au travail pour rechercher son alliance et sa montre. En vain. J’ai fait fabriquer sur place, avec des planches de 1,5 centimètre d’épaisseur, un cercueil dont j’avais eu la précaution d’emporter des clous et ce qui était nécessaire à la fabrication. Après ce travail, je l’ai mis moi-même avec les Boches dans son cercueil où il repose en paix jusqu’au jour où nous le transporterons ailleurs.
Sa tombe est dignement arrangée, un beau gazon et une belle couronne. Il était à 60° face contre terre, sans toile de tente, sa veste pourrie, la tête détachée du tronc. Je ne vous fais pas plus de description, c’est trop effrayant. J’ai rapporté son casque, son bidon encore plein d’eau, sa ceinture, ainsi que sa plaque d’identité. Je suis revenu à 3 heures, en plein soleil. Comme j’étais chargé, je croyais tomber sur la route. Il me faudra quelques jours de repos. »

Deux orphelins et une veuve

13 février 1917, extrait de la lettre de Germaine Hippolyte à Georges : « Mon Dieu, quelle cruelle déception que ce retour en France inoccupée où j’avais néanmoins l’espoir de retrouver mon cher Fernand. Je ne puis croire à un aussi grand malheur ! Marcel m’a réclamé son père plusieurs fois. […] Si vous saviez comme c’est triste d’élever seule deux petits garçons ! Enfin, que Dieu nous donne autant de courage qu’à celui qui est tombé si vaillamment pour sa France. »

Le blog de Hervé Toulotte sur les 73e et 273e RI et le 6e RIT mérite une visite. Il a répertorié le parcours de guerre des hommes qui ont servi dans ces régiments durant la Première Guerre mondiale.
http://bethune73ri.canalblog.com