Les jeudis muets

À 6 ans mon bonheur d’enfant est arrivé à son terme. Pourtant, j’ai reçu un prénom d’amour, Fina, que j’entendais lorsque mes parents étaient contents de moi. Un prénom parfumé de leur tendresse.

C’était autrefois, avant que les cloisons ne tremblent sous les hurlements, les portes claquent, les assiettes voltigent, avant que mon père nous quitte définitivement et que s’installent la haine et la vengeance. Trois enfants qui grandiront sous la tyrannie d’une maman toute-puissante.

Les gifles, les coups et les punitions s’abattent sans raison autre qu’un regard mal dirigé, un sourire considéré comme une moquerie ou une grimace, une parole jugée inconvenante, une mèche de cheveux de travers, un vêtement malencontreusement taché, une gaieté spontanée… Juste ce qu’il faut pour que ça ne laisse pas de traces.

La lecture me sert de refuge, de palliatif, j’y puise ma nourriture et mes modèles. Nous rusons pour grappiller quelques heures de liberté.

J’ai écrit Les jeudis muets pour lever le voile sur la maltraitance psychologique trop répandue et méconnue, difficile à repérer. En grandissant j’ai compris que la maltraitance dont nous étions victimes de la part de notre mère n’était pas dirigée contre nous, mais contre son ex-mari qui l’avait abandonnée et dont elle gardait une profonde blessure. Elle avait juré de l’anéantir. Chaque fois qu’elle nous frappait et nous humiliait, c’était lui qu’elle frappait et humiliait. Comme elle ne pouvait pas l’atteindre, elle allait détruire ses filles. La maltraitance ne s’arrêterait jamais, pire, elle augmenterait devant l’impunité.

Ces maltraitances psychologiques sont invisibles, elles se déroulent dans le huis clos familial, elles échappent au regard extérieur. Elles détruisent la personnalité de l’enfant. Nous avions une jolie maman, soignée de sa personne, cultivée, intelligente, que son entourage plaignait d’élever seule ses trois filles. « Elle est courageuse, elle est méritante, elle est exemplaire », disait-on dans son dos. Une maman insoupçonnable.

Le silence autour de la maltraitance faite aux enfants est inacceptable. En parler est un devoir pour la connaître, l’enrayer, pour démasquer les auteurs, pour protéger les petits d’homme.