Qui suis-je ?

Je suis née un mardi de pluviôse azuré
Dans la ville nouvelle d’Auguste Perret,
Sur les hauteurs du quartier chic de Sainte-Adresse,
Là où l’élégant Pain de Sucre blanc se dresse.
Père et mère naviguent à contre-marée,
Promesse éphémère, voilure déchirée.

Mai 1950 mère et filles Le Havre

Leur désamour est terrible en haine, en vengeance,
Pas de pitié, pas d’état d’âme pour l’enfance.
Trois filles au centre du minable fiasco
Grandiront sous les crieries enflées par l’écho.
Porte-détresse, porte-peine sans défense,
Porte-haine rançonnées pour venger l’offense.

Je suis la troisième, bouquet de leur passion
Ou fruit de leur plaisir, ou gain de l’impulsion,
Qui le saurait ? Médée sous notre toit s’installe.
La machine est huilée, la manœuvre brutale,
Les effets destructeurs en toute discrétion
Pour laver l’outrage. Cruelle punition.

Carte postale du sculpteur peintre Antonio Canova

Abattre le coupable et sa progéniture,
Tel est le but de Médée pour sa forfaiture.
Ah ! que les mots “froid” et “peur” me sont familiers !
Du réveil au coucher, ces syllabes alliées
De mon être brisé sont l’âpre signature,
Une sourde entrave à ma conduite future.

J’ai évolué sur des fondations en carton,
Otage de la rancœur, choyée au bâton,
Sans escorte aimante, sans amour ni repère,
Sans la chance d’explorer l’image du père,
Sans ressentiment malgré l’indigne abandon.
Au parent bourreau, j’ai accordé le pardon.

Dans le berceau de la luxueuse Champagne,
La baraka comme par magie m’accompagne.
Mariée, deux trésors, j’ai édifié mon cocon,
Possiblement aussi fragile qu’un flocon,
À l’abri de la machiavélique chicane.
Le trèfle à quatre feuilles jamais ne se fane.

La vigne sur les coteaux de la Montagne de Reims

Confiants, mes phénix se sont envolés du nid,
Solides, équilibrés, l’odyssée bénie
Par des parents fiers de la tâche hasardeuse
Altérée par une jeunesse cahoteuse,
Fiers de l’aventure menée dans l’harmonie,
Qui les suivent avec une soif infinie.

Ma mission accomplie, je transporte ma chaise
Sur la dune. Sous mon chapeau de paille, à l’aise,
Je vagabonde mollement dans ma pensée,
Par le murmure des vaguelettes bercée.
L’onde frémissante sous la brise m’apaise,
Douce nonchalance en presqu’île guérandaise.

Autour de Piriac-sur-Mer