L’École Centrale des Arts et Manufactures

Notre grand-père Georges Hippolyte était un Centralien, promotion 1902. Nous l’avons découvert en vidant sa maison en 1992 après le décès de son fils unique, Louis. Celui-ci l’avait conservée intacte, il s’y rendait régulièrement pour entretenir le jardin et ses souvenirs. Nous ne savions pas que les hauts placards de cette belle demeure sur plusieurs niveaux située à Amiens pouvaient recéler des trésors.

Georges, élève à l’École Centrale des Arts et Manufactures

Classe 1900 de la subdivision d’Arras, numéro matricule 178, le voilà engagé volontaire pour quatre ans à Paris, il est inscrit à l’École Centrale des Arts et Manufactures pour y suivre une formation de haut niveau dans les domaines industriels et scientifiques, doublée d’une formation militaire. La prestigieuse école a vu passer des grands noms de notre histoire tels que : Gustave Eiffel, promotion 1855 ; Georges Leclanché, 1860 ; Émile Levassor, 1864 ; René Panhard, 1864 ; Théophile Seyrig, 1864 ; André Michelin, 1877 ; Louis Blériot, 1895 ; Armand Peugeot, 1895 ; Pierre-Georges Latécoère, 1906 ; Marcel Schlumberger, 1907 ; Boris Vian, 1942 ; Francis Bouygues, 1947 ; Robert Peugeot, 1971 ; Édouard Michelin, 1987…

Octobre 1902, Georges est sous-lieutenant

“Fais que dois, advienne que pourra”. Cette devise est notée par Georges sur chacun de ses cahiers.

Monsieur Trouillot, ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des télégraphes, lui remet le diplôme d’ingénieur le 17 février 1902, la veille de ses 22 ans. Il est nominé sous-lieutenant de réserve au 21e régiment d’artillerie par décret du 7 septembre 1902. Il accomplit sa quatrième année de service.

L’École Centrale en 1900

L’école fut fondée en 1829 par quatre personnalités passionnées de technologie et de science industrielle, messieurs Alphonse Lavallée, Jean-Baptiste Dumas, Théodore Olivier et Eugène Péclet, sur leur fortune personnelle. Leur volonté était de former des hommes aptes à occuper les premières places dans l’industrie et à participer aux innovations technologiques. D’établissement privé, elle devient un établissement de l’État en 1857. En 1862, le titre d’ingénieur des Arts et Manufactures fut créé. L’abeille est l’emblème de l’École Centrale.

Pendant la Première Guerre mondiale, l’École Centrale perdra de nombreux jeunes venus se former dans son institution et Georges, de nombreux camarades. Un monument a été élevé à la mémoire des 550 Centraux morts pour la France en 1914-1918, leur nom est gravé dessus et la sculpture rappelle les deux armes dans lesquelles les Centraliens ont servi : l’artillerie et l’aviation. Selon Le Figaro du 22 novembre 1934, dans l’article À la gloire de l’École Centrale, 4 800 élèves et anciens élèves ont été mobilisés entre 1914 et 1918, ils ont obtenu 6 000 citations, reçu 2 750 croix de guerre et 1 400 nominations ou promotions dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Georges ne quitta jamais totalement son école par le biais de l’Amicale des anciens élèves. Au fil des ans, il devint le président du groupe de la Somme et accueillit de nombreux Centraux dans sa région. C’est ainsi qu’il leur fit visiter, en 1932, au cours de leur rassemblement annuel, l’usine Potez de Méaulte avec baptême de l’air. Voici une partie de son discours : « Vous êtes venus à Albert, pourquoi ? Pour vous voir entre camarades ? C’est très bien. Pour déjeuner ensemble ? C’est sans doute encore très bien. Mais vous êtes venus aussi pour apprendre quelque chose, certainement nouveau pour vous : la fabrication de l’avion en série. Je sais bien que les Centraux savent ce qu’est un avion, comment l’on s’en sert. Notre camarade Blériot n’a-t-il pas été le premier à traverser la Manche d’un seul coup d’aile, il y a quelque vingt ans, et cet exploit qui a eu à l’époque un retentissement mondial, se répète plusieurs fois par jour, avec une banalité qui déconcerte la jeunesse. Plus près de nous, pendant la Grande Guerre, de nombreux Centraux se sont distingués, tel entre autres, ce capitaine Denis, arraché des bancs de l’école pour le front, et revenu sur ces mêmes bancs après la guerre, pour terminer ses études, mais chargé de galons, de décorations, de citations et de gloire. D’autres aussi hélas, y ont laissé la vie… »

Réunion des Centraux à Albert en juin 1932
Rassemblement à Amiens des Anciens élèves de l’École Centrale, Georges en tête du cortège

Aux armées, le 30 octobre 1915, association amicale des Anciens élèves de l’École Centrale des Arts et Manufactures.
Mon cher Camarade,
Nous fêterons cette année le 3 novembre sur le front. Si vous voulez être des nôtres, vous serez le bienvenu. Apportez seulement avec votre personne votre quart, votre couvert et votre bonne humeur. Rendez-vous le mercredi 3 novembre à 18 heures à l’échelon des trois groupes de l’A.D. 77 (38e et 58e d’artillerie) à Caucourt, rue du Calvaire, au bureau de tabac. Le colonel Picard autorise la réunion. Des voitures seront mises à la disposition des camarades pour le retour. Les frais seront répartis équitablement. – Le bureau, Hippolyte, 1902 et Noël, 1904.

31 mars 1916, Georges à Marie-Thérèse.
As-tu lu sur les journaux la descente en parachute de 1 800 mètres d’un observateur en ballon ? Je l’ai vu. La saucisse était désemparée, le type n’a eu aucun mal. C’était un jeune Central.

10 février 1917, Georges à Marie-Thérèse.
Je suis en train de lire des bouquins écrits par un camarade Central, intéressants pour tous et notamment pour les ingénieurs, sur l’industrie en France et à l’étranger. Il évoque des réflexions judicieuses pour l’après-guerre. Je me passionne pour ces ouvrages d’actualité.

Son écriture était soignée, ses phrases bien construites. Il était fort mentalement dans les épreuves, à la fois tendre, dur et ferme avec ceux qui lui étaient chers.