Les logements de fortune de Georges Hippolyte entre 1914 et 1917

Abri, abri Adrian, baraque, baraquement-dortoir, cagna, chambrette, fourgon, gourbi, guitoune, habitation, sape, souterrain, tanière, tente, trou, vie sous terre. Ce sont les termes employés par Georges dans sa correspondance pour qualifier ses espaces de vie intime. Parfois, la chance le favorise, un habitant lui offre l’hospitalité. Parfois aussi, les conditions d’hébergement sont terribles pour ces courageux soldats.

« Après le ravitaillement, je vais dans la forêt de la Reine explorer notre futur lieu de bivouac. Il est simplement ignoble, innommable, et pendant tout le temps de notre séjour là-bas, je ne cesserai de protester verbalement et par écrit jusqu’à la division pour en sortir. Forêt marécageuse, à l’image du pays. C’est un cloaque immonde. On fera comme on pourra, tout le monde à la corde. Je déménagerai demain. Gare aux moustiques ! »

« Il pleut à seaux, le terrain est un véritable cloaque. Je suis dans une cagna en planches, à l’abri de l’eau et hermétique, mais mes hommes gadouillent dans une fange immonde et mes chevaux s’enfoncent dans la boue jusqu’aux jarrets. Le ciel est tellement bas que les crêtes des forts sont perdues dans les nuages. J’ai incité le capitaine à s’unir à ma protestation, mes hommes et mes chevaux vont attraper la crève. »

29 mars 1915, au nord-est de Marœuil
29 mars 1915, de gauche à droite : moi, mon ordonnance, mon capitaine

« Nous logeons, le commandant et moi, dans une cagna creusée contre une meule, et certes moins confortable que la précédente. Dès les premiers beaux jours, j’en aménage les abords et crée un jardin avec plates-bandes de gazon et fleurs des bois. J’allais y semer des radis lorsque nous est venu l’ordre de vider les lieux. » 29 mars 1915, extrait des mémoires.

22 avril 1915, mon gourbi

« Le 23 au matin, nous quittons définitivement Marœuil avec armes et bagages et déjeunons à Camblain-l’Abbé, après une visite à Bray et à Mont-Saint-Éloi où nous recherchons, en vain, un observatoire convenable. Une des batteries est stationnée depuis la veille à 1 kilomètre ½ au nord-est de Mont-Saint-Éloi vers Carency, sensiblement à mi-distance des deux pays. Les deux autres doivent s’installer la nuit suivante, l’une près de la première, l’autre à 500 mètres de la lisière nord-ouest de Mont-Saint-Éloi, dans le bois des Alleux. » 22 et 23 avril 1915, extraits des mémoires.

15 août 1915, aux tranchées d’infanterie
Mars 1916, près de Verdun

« Ravitaillement à Dugny. J’y vois deux copains, Quiquandon, un ancien camarade des Postes, et Dromard de Valenciennes. Le soir, nous bivouaquons dans le bois du Champ-la-Gaille, près du fort de Landrecourt. Ce n’est pas le rêve. Le 16, ravitaillement à Dugny. Je vais voir Detève à Nixéville. J’ai l’adresse de Blin. » 15 et 16 mars 1916, extrait des mémoires.

Loin des miens

« Un orage épouvantable avec trombes de grêle et d’eau a mouillé tout le bivouac, l’humidité nous pénètre. Six heures après être tombée, la grêle résiste. Sur mon bureau, notre photo à trois. Devant, dans une bouteille, des branches d’arbustes fleuris rouge, semblables à des fleurs de roses du Japon, mais plus petites et sentant bon ! Accroché aux branches basses du sapin sous lequel j’ai ma tente, du gui, du gui, toujours du gui… Mais que c’est triste au bivouac sans lune, sans feu, sans étoiles et par la pluie ! Je n’aspire qu’à revenir vite auprès de vous deux où il fait si bon vivre. Allons, bonne nuit, faites de doux rêves. Il est 7 heures ¾, l’heure de se coucher pour les guerriers que nous sommes ! J’espère que les Boches nous ficheront la paix. La nuit dernière et dans la journée, ça cognait dur. Bons baisers. » 22 mars 1916, extrait de la lettre de Georges à Marie-Thérèse.

Verdun, bivouac sous mauvais temps

« Atmosphère détestable. À partir du 20, nous avons supporté des bourrasques de vent, de pluie, neige et grêle. Les nuits sont fraîches sous la toile de tente et dans la boue. On dépense son énergie à se désembourber et on grelotte. Vers le 25, une passe plus favorable. Durant cette période, je circule à cheval, même sous la pluie battante. Je vais à Verdun à cheval et en voiture, au bois de Thierville, boulotter avec les copains le 20 mars, jour du printemps ; avec Detève à Nixéville le 30. Dommage, je rate Blin. À Landrecourt, je vois Flandrin. Ces distractions nous égaient, car tout porte à la mélancolie. Aux batteries du groupe et des autres groupes, il y a de la casse : chevaux tués, sous-officiers et hommes tués et blessés dont mon ancien brigadier téléphoniste Brulat. Parmi les sous-officiers, il y a des pertes : Tixier, André et Garaud, tués ; Caubel, Brisbarre, Antony, Pouzin, blessés. Des bombes d’aéros tuent un officier d’approvisionnement polonais de l’E.M. On a hâte de dégager… L’on a entendu canonnade sur canonnade, nuit et jour. Verdun incendié plusieurs fois, bruits pessimistes, rien ne manquait pour le cafard. Le 31, attaque boche avec gaz que nous sentons au T.R. » Du 19 au 31 mars, extrait des mémoires.

21 mars 1916, mon univers

« Voici mon programme habituel : lever entre 5 heures ½ et 6 heures ; ablutions en plein air ; tour de bivouac aux chevaux et aux voitures (le coup d’œil du maître) ; pansage des chevaux ; vers 7 heures ½, tasse de café ; puis signatures et paperasses ; 8 heures, départ à la gare ; de 8 heures ½ à 11 heures, service à la gare ; 11 heures, retour ; 11 heures ½, déjeuner ; 13 heures, distribution et départ des corvées de ravitaillement ; 14 heures, tour de bivouac (il y a toujours à aménager) ; paperasses, promenade, ordres ; souper à 18 heures ; on cause ; vers 20 heures, coucher, et l’on roupille ! » 21 mars 1916, extrait de la lettre de Georges à Marie-Thérèse.

15 avril 1916, en forêt de Marcaulieu

« Nous séjournons à nouveau dans les bois, mais cette fois d’une façon confortable. Mes hommes sont dans des huttes, mes chevaux sous des bâches. Personnellement, j’ai un abri en terre et fer où je me suis monté un feu. Il fume, mais tant pis. Le bois de chauffage n’est pas cher, on n’a que la peine de le ramasser sur place et de le débiter. Le coucher est médiocre, il n’y a ni paille ni foin. J’ai la colique depuis hier. Mes hommes en souffrent aussi. » 14 avril 1916, extrait de la lettre de Georges à Marie-Thérèse.

De longues promenades pour passer le temps

« Je pars à 5 heures dans ma voiture, direction Bar-le-Duc. Il y a une trotte de 64 kilomètres à faire aller et retour avec le même cheval, je le ménage donc. Après une halte à Érize-Saint-Dizier, j’atteins Bar à 8 heures ½. Route agréable de vallon en vallon. La vallée qui suit le canal de la Marne au Rhin est incomparable. Bar est animé avec des commerces, il est plus vivant que Commercy. Nous repartons à 3 heures, pour rentrer à Marcaulieu à 7 heures, après une pause à Fresnes-au-Mont. » 29 avril 1916, extrait des mémoires.

Juillet 1916, ma chambrette

« Ce matin, j’ai été au marché à la ville et cet après-midi j’ai tapissé ma chambre ! Oui, tapissé avec des Petit Parisien. J’ai bouché des jours entre les planches, larges à y glisser la main. Je me fais confectionner une crédence sur laquelle j’accrocherai ton portrait et celui de Loulou entre deux douilles sculptées pleines de coquelicots, de marguerites, de fleurs bleues, le tricolore des champs. Et une petite table de toilette en bois. Jusque-là, je m’accommodais d’une caisse défoncée ! » 19 juillet 1916, extrait de la lettre de Georges à Marie-Thérèse.

« Ce matin, j’ai achevé ma chambrette. Dans un coin, mon plumard. À proximité, une planchette étoffée (14 sous de garniture, s’il vous plaît !) sur laquelle notre photo encadrée et celle de Fernand sont noyées dans un bouquet de fleurs tricolores des champs, placées elles-mêmes dans deux douilles astiquées numéro un. Dans un autre angle, une table nappée d’une de mes couvertures. Le long d’une paroi, mon lavabo et une tablette de toilette : savons, brosses, rasoir, cuir, le tout aligné comme à la revue. Sur une autre paroi, des portemanteaux. Un tabouret de bois. Je t’assure que c’est grand confort. Il ne manque plus que d’élargir ma paillasse pour t’accueillir…, mais c’est défendu. Les militaires sont devenus des moines chastes, malgré les blagues des jeunes et les fanfaronnades des autres. Et puis… il y a le revers de la médaille : la paillasse dure, parfois un bouton de ma toile de tente qui marque dans le dos, je le sens toute la journée, parfois plus d’électricité. » 20 juillet 1916, extrait de la lettre de Georges à Marie-Thérèse.