Que s’est-il passé à Lourches le 25 août 1914 ? Georges Hippolyte qui assure son devoir militaire entre Béthune et Arras veut comprendre. Il a quitté son village de Lourches depuis peu, tout ce qui arrive aux habitants ne le laisse pas indifférent.
Coûte que coûte, il tente l’impossible pour se procurer les journaux afin de rester informé. Son besoin d’informations sur l’actualité est immense. Il a relevé dans le quotidien Le Matin du mercredi 16 septembre 1914 sous le titre « La fin d’un monstre La mort d’un héros » qu’un grave fait divers s’est produit dans la commune de Lourches occupée par l’ennemi depuis le début du conflit. L’événement dramatique paraît aussi dans la rubrique “Pages de gloire” sous la plume de Charles de Bussy, romancier, poète, auteur dramatique et humoriste qui le titre : « Le gosse sublime ». Le Matin demande que l’Histoire n’oublie jamais le nom d’Émile Desprès, enfant de quatorze ans, mort en héros.
Georges Hippolyte s’informe auprès de Parfait, un ami ou un parent fiable avec qui il entretient une bonne correspondance durant cette période trouble. Parfait lui donne sa version des faits le 27 mars 1915 :
« Pour l’affaire Desjardins, voilà ce que je sais : en passant à Neuville le 26 août ou le 27, les Boches attrapent un nommé Boite qui les narguait. Mon Desjardins (dit La Friture, il est connu sous ce nom-là !) suit les Boches et à deux reprises, en deux endroits différents, de l’église au cimetière, ils s’avancent avec une chope de bière pour Boite. Il est repoussé et la troisième fois, il est pincé. Ils sont conduits sur la grand’route et là, près de chez le beau-frère Louis Faucheux, je crois, il est ordonné à La Friture de tirer sur Boite s’il veut avoir la vie sauve. La Friture prit alors le fusil des mains de l’officier boche, il fit mine d’épauler Boite, et faisant demi-tour, tua l’officier. Aussitôt, il a été fusillé. Par contre, je ne sais si Boite y a été. Je suppose que les dix civils fusillés à Douchy l’ont été à la suite de cette affaire, la ferme Louis Lombard se situant sur Douchy. Vous savez que monsieur Mascaux a été compris dans ces dix civils. En septembre, au dépôt du 148, j’ai lu un article du Matin qui parlait d’un Émile Desprès qui avait fait un acte semblable. Je suis sûr qu’il s’agit de l’affaire dont je vous parle. Le nom a dû être changé à dessein pour éviter des représailles de la part des Boches sur sa famille. »
Parfait et le jeune mineur se connaissaient bien.
L’origine du fait divers relaté dans Le Matin vient de Louis Pauliat, sénateur du Cher, ancien journaliste qui le lui a révélé la veille.
Mais certains mettent en doute l’authenticité de la révélation sans en apporter de réelles preuves. Peut-on douter d’une information reçue d’un sénateur bien qu’il n’ait pas été témoin de la scène ? On ne sait pas qui lui a transmis le communiqué. Où est la source ?
La version de Parfait lève le doute : il a suivi la scène qui démarre à Neuville-sur-Escaut à moins de trois kilomètres de Lourches. Le jeune Desjardins dit La Friture nommé par Parfait a un frère qui aurait demandé au journaliste de changer le nom de famille par crainte des représailles.
Dès le lendemain, les autres journaux s’emparent du fait divers, le jeune mineur devient un héros.
En l’absence de preuves, ne doutons pas de ce héros ni de son acte héroïque quand bien même il exalterait le patriotisme.
C’est la lampe attentive à garder leur mémoire contre la nuit qui tombe oublieuse,
Le phare qui s’allume aux rayons de leur gloire et met au ciel de France une étoile de plus.
(Inscription sur le fronton de l’ossuaire de Notre-Dame-de-Lorette)
Édouard, jeune soldat né en 1897, jeté dans la fournaise de la Première Guerre mondiale, chante sur l’air de la Paimpolaise l’acte héroïque du gamin de La Neuville-Lourches. Chanter pour se donner du courage, pour évacuer la colère et les images, et les pensées tristes ; chanter aux côtés de ses frères combattants. Dans un petit carnet noir, Édouard a copié une chanson qui retrace ce qui s’est passé à Lourches le 25 août 1915. Il est possible, voire probable qu’il en soit l’auteur.
Le carnet de poche d’Édouard est parvenu à un de ses descendants, Patrick, visiteur du blog https://sylviehippolyte.wordpress.com/. Merci à lui d’avoir partagé ce souvenir de famille.