La porte à bébés

Des papiers et petits objets de reconnaissance sont déposés dans les langes, les bonnets ou placés sur le corps. Ils contribuent à l’identité de l’enfant. Ils sont soigneusement conservés par l’hospice et rendus à l’enfant adulte.

La description minutieuse de la tenue vestimentaire dans les couleurs, les motifs et la matière, et leur maigre héritage : un ruban, une photo, un bijou, un mot…, figurent dans le procès-verbal. Les morceaux de ruban sont soigneusement décrits, ils serviront de preuve pour un retour dans le foyer, le dépositaire en ayant conservé une partie qu’il pourra montrer, un important signe de l’identité de son enfant. Le prénom est parfois noté sur un papier, l’enfant le conservera.
Le matériel de couchage est aussi décrit. Marie Philippine, découverte devant la Grande Porte de Guise rue de la Prison à Calais par Auguste Rigault, serrurier, est exposée dans une corbeille d’osier blanche. Albert Joseph est couché dans un panier d’osier blanc à bras rempli de paille. Joseph Romual est exposé dans un panier à bras rempli de foin, couvert d’un vieux sac de treillis tout pourri. Charles Henry est exposé sur une poignée de foin. Jeanne Philippine attend son bienfaiteur dans une manne d’osier remplie de paille, la tête enveloppée dans un vieux mouchoir de poche tout déchiré.

Michel Bazin n’a pas recueilli que des nouveau-nés cette année-là : Nicolas Henry est âgé d’environ trois ans. Découvert le 25 mars à 23 heures, il est vêtu d’une vieille jupe de laine toute raccommodée, d’une vieille veste de coutil, d’une vieille chemise longue, un vieux bonnet de coton, une vieille paire de galoches fourrées. Interrogé, il a dit que son père est mort, que sa mère reste à Sangatte et que sa tante se nomme Marguerite. Il est accompagné de son frère âgé d’environ six mois, emmailloté d’une vieille couche, d’un vieux morceau de couverture, une vieille brassière de toile, une vieille chemise longue, un vieux bonnet de toile. Il s’appellera Noël Henry. Les deux frères se retrouveront peut-être à l’âge adulte. Est-ce Marguerite qui a abandonné les enfants sur la voie publique ?

Notre ancêtre de parents inconnus est découvert le 9 mai 1806 à une heure du matin par Michel Bazin. Son âge est évalué à deux jours. Il est décrit comme emmailloté de trois couches, un lange de molton blanc, une brassière de toile peinte de différentes couleurs, une chemise brassière garnie de mousseline, un serre-tête blanc en piqué, un autre de toile peinte fond blanc, portant pour remarque un quait ou quart (un bout) de ruban fond violet dentelé des deux bouts, coupé au milieu d’un bout, placé sur l’estomac. Il reçoit les noms de Jean Hypolite.
Le prénom Hippolyte est courant, le patronyme Hippolyte serait rare. Il vient du grec et signifie celui qui dompte les chevaux. La variante Hypolite est portée en particulier dans la Somme. Jean n’a pas dompté les chevaux, mais la mort.

Nous ne connaissons pas son parcours d’enfant et d’adolescent. Sa mère est-elle revenue le chercher quand les jours lui ont été plus favorables en agitant le morceau de ruban qu’elle a conservé et dont elle a posé l’autre bout sur l’estomac de son petit, comme signe de reconnaissance ? Sinon, il a été confié à une nourrice rémunérée à cet effet qui avait plusieurs pensionnaires pour augmenter ses revenus. A-t-il été bien nourri, bien entretenu, bien traité ? Il a survécu, il a réussi un beau parcours d’adulte. Nombre de ces enfants ne sont recueillis par les nourriciers que dans un but lucratif et de main-d’œuvre à bon marché. Beaucoup meurent faute de soins. Quelques-uns reçoivent de l’affection. À douze ans, ils sont placés chez un patron. Jean a-t-il été à l’école ? Il ne sait pas signer son nom à son mariage. Pourtant, la loi de Messidor An 5 encadre le placement en nourrice : l’enfant recueilli doit être scolarisé.