Nous avons trouvé dans les affaires de Georges Hippolyte un ouvrage de 26 pages qui rend hommage en 1947 à Albert Portevin, membre de l’Académie des Sciences.
Pour nous, les petits-enfants de Georges Hippolyte, qui n’avons pas une parfaite connaissance des Grands hommes de son époque, le nom de cet académicien nous est inconnu, ce qui n’était pas le cas de Georges issu de la même formation que lui à l’École Centrale des Arts et Manufactures. Faut-il que ce personnage soit devenu important pour qu’un appel à souscription ait été lancé et ait recueilli 2 486 noms dont 42 grandes sociétés industrielles, 490 membres de la Société des Ingénieurs Civils, 687 Centraux dont Georges Hippolyte et 873 élèves-ingénieurs !
Pourquoi une souscription a-t-elle été ouverte à son profit ? Les souscripteurs reconnaissants lui offraient le 20 juin 1943 son épée d’Académicien et son portrait. Car il a été élu le 7 décembre 1942 à l’Académie des Sciences, appelé à siéger dans la Division des applications de la science à l’industrie fondée en 1918 par Émile Picard et Henry Le Chatelier. Il est élu à l’unanimité des votants, cela ne s’est pas produit durant les dix-huit années pendant lesquelles Léon Guillet a fait partie de l’Académie.
Voilà la raison d’être de l’opuscule que nous possédons, il relate l’événement, la teneur des trois allocutions prononcées par : Léon Guillet, membre de l’Institut, directeur de l’École Centrale des Arts et Manufactures ; Hippolyte Luc, directeur général de l’Enseignement technique, président du comité ; Albert Portevin. Il contient également les noms des souscripteurs.
La séance qui accompagnait la remise de l’épée et du portrait a eu lieu dans l’amphithéâtre de l’École Centrale des Arts et Manufactures.
De hautes personnalités du monde industriel sont citées dans l’ouvrage pour leur présence à la cérémonie, d’autres pour leur absence excusée.
Le montant de la souscription ayant été supérieur à la nécessité, le comité a affecté le reliquat à l’École Centrale, à l’École Supérieure de Fonderie et à l’Institut de Soudure Autogène.
Mais qui est Albert Portevin ? Un métallurgiste, un scientifique, un ingénieur-conseil, un éminent professeur, un maître de conférences en sidérurgie, un chercheur, un auteur de mémoires, un savant…
Il est né le jour du décès de son père, en 1880, la même année que Georges Hippolyte. Ils ont suivi les mêmes cours et sont diplômés ingénieurs en même temps, Albert Portevin avec une moyenne de 18,74 sur 20. Son projet de concours sur une usine à gaz lui vaut la note de 19,60 sur 20 également. Mais il a un condisciple encore plus fort que lui, puisqu’il sort second de sa promotion. Avec sa mère, il habite rue de Passy dans le 16e arrondissement, dans un appartement qu’il n’a quitté que pour se marier et vivre avec son épouse à quelques pas de là, boulevard de Beauséjour. Deux enfants, Philippe et Jean-Paul, naissent de leur union, présents à la remise de l’épée et du portrait.
Albert Portevin est passionné de sciences expérimentales, principalement de sciences naturelles. Après le décès de sa mère, il part dans l’Eure travailler dans le laboratoire de la Société métallurgique de La Bonneville. La discipline qui existe dans l’usine ne lui convient pas, il est qualifié de fantaisiste par ses amis, il retourne à Paris où il œuvre dans le laboratoire métallurgique de la Maison Dion-Bouton dirigée par Léon Guillet. Il y trouve son équilibre, des amitiés se créent avec d’illustres métallurgistes, ses travaux de recherche commencent, sa carrière scientifique s’annonce belle.
Pendant la Première Guerre mondiale, il est dirigé dans les services auxiliaires à cause d’une santé défaillante, il travaille dans les services techniques de l’artillerie à la résolution des problèmes de la fabrication des obus, des canons de 75 et des appareils d’aviation. Son expérience dans ce domaine de l’étude des fontes alimentera ses publications et conférences.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est conseiller scientifique et technique au ministère de l’Armement.
En 1943, il a déjà à son actif 350 mémoires à propos de la métallurgie.
Dans son allocution, il remercie les sociétés industrielles et la Société d’Électro-Chimie qui lui ont permis de mener ses recherches. Puis il cite ses collaborateurs d’origines diverses dont ceux de l’École Centrale, l’Université, l’École Polytechnique, l’École des Mines de Paris et celle de Saint-Étienne, l’École de Physique et Chimie, l’Institut de Chimie de Paris, l’École de Fonderie. Il remercie tous ceux qui participent à la manifestation festive, ses amis et ses camarades, ses collègues de l’industrie, de l’enseignement, de la technique, ses anciens élèves, ceux en formation et les futurs majors.
L’épée d’Albert Portevin est l’œuvre originale de Louis Muller, sculpteur et graveur né en 1902. Elle est ornée de symboles qui témoignent de son parcours : la flamme du feu dont le rôle est important dans les recherches scientifiques sur la fonte et la trempe des métaux, la foi de la pensée rayonnante, la coquille sur laquelle est posée l’Abeille de l’École Centrale, une tête de cyclope. La poignée présente les deux aspects de sa carrière : l’enseignement et la recherche.
Le portrait est réalisé par Edgard Maxence, artiste peintre né à Nantes en 1871.
Parmi de nombreuses activités, Albert Portevin enseigne dans trois écoles. Attaché à l’École Centrale, il y est un professeur de métallurgie éminent particulièrement apprécié des étudiants et président du Conseil d’administration. Il enseigne la métallographie spécialisée à l’École Supérieure de Fonderie créée en 1924 et enseigne la métallurgie appliquée au soudage à l’École Supérieure de Soudure Autogène créée en 1930. En 1907, il écrit avec Henry Le Chatelier et Léon Guillet des articles dans la Revue de métallurgie. Il en est le rédacteur en chef. Son style est clair, concis, il ne se perd pas dans la multitude d’informations possibles, et rend ses sujets abordables malgré leur caractère technique réservé aux initiés. D’ailleurs, il est membre du Comité du langage scientifique et membre du Comité d’honneur de l’Association de Défense de la langue française.
Beaucoup de sociétés industrielles demandent sa collaboration. En 1959, il devient le président de l’Académie des Sciences.
Reconnu dans de nombreux pays pour sa contribution scientifique, il collectionne les prix et les médailles ! À noter en particulier la médaille Lavoisier de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale qu’il reçoit en 1951 pour son rôle dans la découverte des aciers inoxydables. Il en existe une à son nom, la médaille Albert Portevin, gravée de son portrait, attribuée par la Société Française de Métallurgie et de Matériaux, qui récompense des personnalités métallurgistes ayant apporté une contribution dans les domaines dans lesquels s’est distingué Albert Portevin, notamment la transformation et les propriétés de mise en forme des matériaux.
« Mes études n’ont pu se poursuivre et ma vocation éclore qu’à la chaleur du foyer maternel et le complet épanouissement de ma vie intellectuelle ne s’est effectué qu’au soleil du foyer familial. » – Albert Portevin.